Le nouvel âge de la chasse

Ausit on the Radio FMC… Alain Daziron responsable de la Maison de la Culture de Larrazet (82) porte depuis plus de 40 ans 3 grands chantiers culturels complémentaires.« Le Trait d’Union », journal communal et grand atelier d’écriture impliquant les habitants. « Le Forum permanent des identités communales », comme lieu de recherche théorique et d’échanges sur les expériences liées à la réinvention des villes et des villages de France. « Les journées de Larrazet » qui interrogent chaque année et durant 2 jours un sujet d’histoire ou d’actualité, et permettent de croiser les regards d’éminents chercheurs avec celui des habitants. Uèi ven nos manténer d’un quicòm que fa charrar, la chasse. Comme vous le verrait il n’a pas tout à fait décroché avec le sujet de la chasse. C’est sa façon de faire l’OUVERTURE en tant que non chasseur !

Le chasseur au petit gibier devient de plus en plus invisible dans la nature. «  La grande mutation de ce début du 21° est que lʼon croise de moins en moins le chasseur au petit gibier accompagné de son chien dans un champ ou une prairie, au bout dʼune vigne ou au détour dʼun chemin. Il y a 50 ans, on comptait les maisons de la commune où il nʼy avait pas de chasseur alors quʼaujourdʼhui on a vite fait le tour de celles où il y en a encore un. Cet effacement génère un évitement et creuse le fossé avec les nouvelles générations et les nouveaux habitants ne sont pas nés dans la culture de la chasse. Comme on croise peu lʼêtre familier quʼétait, il nʼy a pas si longtemps le chasseur, on échange peu avec lui et on risque de se faire une idée fausse de la chasse ou se persuader que cʼest une pratique désuète, dʼun autre temps. On est loin de lʼépoque où, selon la belle formule de Gilbert Cambon, «  lʼouverture de la chasse à Larrazet et dans le Sud Ouest était aussi importante que le 14 juillet ». Et tout autant de lʼatmosphère de ce grand jour de lʼouverture quʼen a magnifiquement dressé, pour les années 1960, Lisette Bessou dans un numéro récent du Trait dʼUnion : « Mon frère Yves, me disait, tout heureux, « aujourdʼhui, par précaution, vous garderez les vaches dans la prairie tout près de la maison et non à la garenne, le long du ruisseau, en contrebas de la ferme ». « Cʼétait comme si notre ferme était cernée car il y avait quand même un peu de danger. On entendait, dans les alentours, tantôt aboyer les chiens, tantôt des coups de fusil en rafale. De toutes les plaines alentour, Rimailhos, la Plagnette, Nabras et même la vallée des Granges, retentissait un important vacarme. Nous savions que ce feu dʼartifice sonore sʼarrêterait en fin de matinée ». 

Lʼouverture de la chasse se déroule aujourdʼhui dans une grande invisibilité tant sur le plan sonore, visuel que social et les récits haut en couleur, les discussions, les emballements au sujet des lâchers ou petites transgressions ont largement déserté la scène familiale et communale. La voix de la chasse sʼest mise en sourdine. Le chasseur est devenu minoritaire ce quʼil perçoit très fortement dans son psychisme (20 permis à Larrazet en 2022 contre 80 dans les années 1970). Le nombre de chasseurs a fondu à lʼimage du nombre dʼagriculteurs depuis la 2° guerre mondiale. Et surtout la transmission générationnelle et familiale est cassée ou amortie. Comment envisager la relève alors quʼune nouvelle sensibilité à lʼégard de la nature et de lʼanimal a renversé les digues de la culture, de la société, de la tradition au coeur même des campagnes, berceau de la chasse ?

Dans le mouvement dʼeffacement du chasseur, sʼest opéré – sans que lʼon y prête trop garde le recul de la chasse au petit gibier (qui en était lʼâme et le coeur dans notre région) et, par la même, une mutation fondamentale des pratiques, et très probablement de lʼimage de la chasse. »

La montée en puissance des battues au grand gibier transforme la forme et lʼimage de la chasse. « La prolifération du grand gibier (sangliers, chevreuils ) a bouleversé radicalement les modes de chasse en Lomagne depuis 20 ou 30 ans. De sorte que les battues sont devenues indispensables à sa régulation pour contenir les dégâts aux cultures ou les accidents de la route. Elles sont devenues, beaucoup plus quʼavant, le centre de gravité de la chasse : le fait le plus significatif est que pratiquement chaque commune a aujourdʼhui une salle de découpe pour le grand gibier. Les incidences en sont multiples et méritent de les relever puis de les interroger. »

Deux réalités majeuresà mes yeux. « Ce qui me semble frappant aujourdʼhui est quʼon ne croise ou plutôt quʼon ne voit plus guère les chasseurs quʼen battue. Un choc contradictoire entre la relative invisibilité du chasseur traditionnel de nos campagnes, qui ne dérange véritablement personne, et une concentration soudaine, et en pleine lumière, dʼhommes armés, souvent au bord des routes, avec leurs gilets fluorescents. Avec le risque que ne sʼimprime dans certaines têtes une image réductrice de la chasse et une appréhension, voire un sentiment dʼintrusion, à la vue dʼun groupe de chasseurs en armes et en ligne. Tout est image (et souvent cliché) surtout  quand on connaît mal les codes et les finalités dʼun groupe ou dʼune activité ( et cela vaut beaucoup pour la perception de la chasse ). Paradoxe explosif entre lʼimage du vide et celle du trop plein.  La sécurité lors des battues est un enjeu FONDAMENTAL. Une balle nʼest pas une cartouche et un sanglier nʼest pas une alouette ! Aucune battue nʼest sans danger et cʼest elle qui provoque la plupart des accidents de chasse. Cʼest pourquoi les fédérations de chasse et les Acca ont fait de la sécurité leur priorité absolue. Et la réflexion se poursuivra très probablement sur lʼusage des balles qui portent si loin. Si les accidents sont fort heureusement très rares, leur impact est immense. Cʼest  même la clé de lʼacceptabilité de la chasse par la société. Les chasseurs auraient tort de nʼy voir que la recherche du buzz par divers médias ou lʼintransigeance des anti-chasse. Cʼest tout simplement que la barre de lʼexigence face au risque est devenue très haute. C’est la  ligne rouge non négociable de lʼacceptabilité de la chasse. Au point de se demander si ce nʼest pas la seule acceptabilité des battues qui est en cause aujourdʼhui bien plus que la chasse elle-même ? »

La battue comme révélateur de la chassed’aujourd’hui. « Les questions, les contradictions, les doutes les attentes ne manquent pas et leur juste appréhension est sans aucun doute la clé dʼune bonne réponse à une équation complexe et en mouvement. Ce débat ne doit non seulement pas être esquivé mais cultivé en bonne intelligence, tout autant par les chasseurs que les non chasseurs. Depuis la nuit des temps, les sociétés se sont appuyées sur les chasseurs pour repousser le sauvage (la mythologie grecque est pleine de héros qui combattent les monstres). Cette fonction de régulation a traversé les siècles sous des formes multiples jusquʼà nous : de la traque du loup à la protection des poulaillers contre le renard ou la fouine. Il est patent que beaucoup de paramètres se modifient aujourdʼhui en matière de régulation. Les pouvoirs publics délèguent de bon gré aux chasseurs le soin de contenir la prolifération de sangliers et chevreuils, au risque de devoir sʼen occuper eux-mêmes sans leur mobilisation bénévole. Pour autant, si lʼon assigne exagérément les chasseurs au rôle de forçats de la régulation, ils risquent dʼarriver au point de rupture. Avec le risque fort de sʼy perdre car la chasse ne se réduit pas aux battues qui ne doivent pas, à mon  sens, les détourner trop de leur chemin. Mais pour ne rien arranger, les uns (notamment les agriculteurs ) leur reprochent de ne pas réguler suffisamment le grand gibier, les autres dʼêtre des “ viandards”. Situation intenable pour les chasseurs. Il va falloir que lʼon se mette dʼaccord pour éviter de leurdemander le tout et son contraire ! Le collectif est une nécessité opérationnelle pour une battue mais elle me semble être aussi de plus en plus existentielle. On sʼy serre les coudes, on y cultive la solidarité. 

Ce que dit si bien Manu Gracia (président de lʼAcca de Larrazet) «les chasseurs sont aujourdʼhui moins nombreux et les battues constituent le principal moment de retrouvailles. Un chasseur qui ne sʼintègre pas dans un groupe est isolé et se décourage.» Claude Dulac ajoute « il y a des anciens qui ont moins dʼénergie pour chasser comme avant, ils vont aux battues où ils peuvent sʼasseoir au poste ». 

Pour autant les chasseurs ne doivent pas mettre tous les oeufs dans le même panier et une réelle désaffection pour le petit gibier ne vient pas de sa seule raréfaction. Le meilleur exemple est celui du lièvre dont les comptages montrent quʼil se porte bien mais beaucoup de chasseurs ne dépassent pas le quota de 3 pièces quʼils peuvent prélever dans lʼannée. La chasse nʼévolue-t-elle pas, à lʼimage de la pêche qui déserte la rivière pour investir les lacs ou les plans dʼeau, vers une certaine facilité et atonie ? Tout cela pointe une évolution des formes de chasse et, à nʼen pas douter; une évolution des pratiques culinaires (qui pour cuisiner le gibier dans les nouvelles générations ?). La battue entretient la sociabilité des chasseurs mais peut aussi les isoler de la société avec lʼimage dʼune minorité supposée repliée sur elle-même. »

Quelques clés et conditions de lʼavenir de la chasse. « Notre ami Paul Henry Hansen Catta (ancien Président de la Fédération des chasseurs de Picardie) va droit au but : « chevillée au plus profond de la nature humaine, la chasse vivra tant quʼil y aura des petits dʼhomme pour tenter d’attraper la petite bête qui fuit ». 

Et cʼest à lʼévidence ce qui est en cause. Les jeux vidéo ont remplacé la fronde, la nouvelle sensibilité de notre époque tend à protéger plus quʼà repousser le sauvage. Les chasseurs auraient tort dʼy voir la main insidieuse de lʼécole ou des « gens des villes ». Cette évolution se passe sous le toit de leur maison (beaucoup dʼenfants dʼagriculteurs ou de ruraux tournent le dos à la chasse, ont perdu lʼinstinct de prédation qui habitait les générations précédentes).

 Le chasseur sera minoritaire, ce qui ne condamne en rien son activité, à la condition toutefois que la distance ne se creuse pas exagérément avec la société. A mon avis, Lʼacceptabilité de la chasse se conquiert par les bonnes pratiques (sécurité, éthique, lien avec les propriétaires et les habitants) alors que sa légitimité relève plus de la confrontation des idées. Ce qui était dʼailleurs lʼobjet et lʼenjeu des Journées de Larrazet 2003 « comprendre la chasse, cʼest changer son regard sur la nature ». 

Paul Henry écrit « lʼopinion nʼattend rien du chasseur, sauf quʼil ne lʼempêche pas de se promener ». Cʼest dire que le défi est immense mais la chasse a fait preuve, notamment depuis une trentaine dʼannées, dʼune grande faculté dʼadaptation et de réinvention (ce qui explique que tout se passe pour le mieux à Larrazet et en Lomagne). A se demander même si les conflits de chasse nʼétaient pas plus nombreux et intenses dans un passé récent même sʼils étaient, à nʼen pas douter, dʼune autre nature. 

Quant à lʼidée dʼinterdire la chasse le dimanche, elle nʼest pas, à lʼévidence, le chemin le plus heureux du dialogue. Outre que cela suppose que les chasseurs soient tous des retraités, cʼest lʼexpression même de la défiance et, comme lʼa signifié Philippe Salvadori aux Journées de Larrazet sur la chasse en 2003, « une société qui dit quel est le plaisir de lʼautre est une société totalitaire ». Le bien commun, plaide au contraire, pour rapprocher et non éloigner la chasse de la société. Cette voie est déjà bien avancée et doit être travaillée comme cʼest le cas dans la forêt de Bouconne sur des espaces et des plages définies dʼun commun accord  entre chasseurs et acteurs de la nature (promeneurs et vététistes notamment). Personne nʼa le monopole de la nature, tout le monde y a sa place (le chasseur comme le promeneur ou le naturaliste). La société perdrait en biodiversité culturelle et civique à évacuer le chasseur de la nature. 

Tout invite à partager la nature mais aussi la culture, condition première dʼun dialogue et dʼun enrichissement mutuel. Je partage pleinement le propos inaugural du Larousse de la Chasse dʼaujourdʼhui, « depuis les premiers âges, la chasse nʼa pas seulement contribué à apaiser la faim, elle a aussi nourri la pensée ». La pensée sur le vivant, la mort, le sacré, la transgression, la vie de la cité, lʼéthique, le domestique et le sauvage, le partage. Fonction qui est loin dʼêtre épuisée pour aider lʼhomme et la planète à répondre aux défis actuels.  Que vous soyez loin ou proche de la chasse, le débat est grand ouvert. »

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