Le passage de Notre Dame de Boulogne à Larrazet (82)

Ausit on the Radio FMC ont Alain Daziron venguèt nos contar aquel’ afar… C’était il y a 80 ans. 

Il y a 80 ans jour pour jour, Larrazet était l’épicentre de la déclinaison locale d’un événement national, le «Grand Retour» de Notre Dame de Boulogne. Son souvenir est aujourd’hui quasiment effacé de la mémoire collective, les sources écrites sont éparses et les historiens l’ont peu étudié. C’est dire combien cette évocation ne coule pas de source, ce qui est propre à tout effort d’écriture de l’histoire. Comment comprendre un fait, le contextualiser, lui donner sa pleine dimension et éviter, autant que faire se peut, les contresens à partir de quelques simples éléments du puzzle. 

Le « Grand Retour » de Notre Dame de Boulogne. Boulogne-sur-Mer (Pas de Calais) est, avec Le Puy-en-Velay, l’un des plus anciens lieux de pèlerinage de l’Europe chrétienne sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle. La légende veut que Marie ait accosté à la tête d’une barque en 633 sur une plage du port auprès de laquelle une chapelle a été bâtie. 

En 1938, l’église catholique réalise 4 copies de la statue de la Vierge à l’enfant qui seront abritées à Lourdes au début de l’Occupation allemande. Le 28 mars 1943, s’inscrivant dans la longue tradition du culte marial et avec la volonté de régénérer la foi, les Evêques français décident du « Grand Retour » de la statue de Notre Dame à son point de départ, Boulogne-sur-mer. 

C’est en fait 4 statues, installées sur une barque qui vont sillonner la France entre le 11 avril 1943 et le 29 août 1948. Il se trouve que le diocèse de Montauban allait être le “ laboratoire” de cette réactivation de la foi par la volonté de son évêque, Mgr Théas. Pyrénéen, très attaché au culte marial, Mgr Théas a décidé de transformer le retour de N Dame de Boulogne en mission évangélisatrice au cœur du 20 ° s et de la nuit de l’Occupation nazie. 

Comme l’indique de manière très informée l’abbé Louis Perouas « Mgr Théas annonce vers le 20 avril 1943 que la statue demeurera deux mois dans son diocèse du 28 avril au 4 juillet. Un tournant a été pris alors, qui fait passer le Grand retour d’un pèlerinage « bon enfant », à une sorte de mission paroissiale itinérante. L’exemple du diocèse de Montauban servira de modèle pour toute la France, on passe par la substitution d’une sorte de quadrillage à une simple traversée du territoire». 

En effet au lieu de suivre une voie directe, la vierge nautonière (celle qui conduit un bateau) a parcouru, pendant près de deux mois (du 28 avril au 4 Juillet 1943) de très nombreuses paroisses du Tarn-et-Garonne. Dans le Bulletin catholique du 1° mai 1943, Pierre-Marie Théas dit le projet avec lyrisme et le souffle de la foi conquérante qui l’habite : « Notre Dame ira dans toutes les régions du diocèse : dans les villes et dans les campagnes, dans les paroisses ferventes et dans les villages déchristianisés. Elle traversera et longera nos fleuves aux eaux fécondes, elle parcourra nos plaines verdoyantes et gravira nos gracieuses collines. Elle passera au milieu des blés qui lèvent et des vignes qui se couvrent de feuilles; elle s’arrêtera sous les frondaisons de nos forêts. Mais surtout elle regardera les âmes, et, parce qu’elle est la mère de Miséricorde, son regard s’attardera avec tendresse sur les âmes les plus souillées, afin de faire surabonder la grâce où le péché abonde ».

La repentance – sur laquelle nous reviendrons – est donc le fil directeur du « Grand Retour». C’est ainsi que la statue arrive à Larrazet le 1° mai 1943, et en repart le 2 mai, au tout début d’un long périple dont le rituel est partout identique même si, inévitablement, les données communales peuvent infléchir la tonalité et l’intensité de l’accueil de la mission. 

La statue posée sur une remorque quitte Lourdes le 11 avril en direction de Toulouse. Elle rentre à Grisolles, dans le diocèse de Montauban, en provenance de Fronton, le 28 avril. Elle poursuit sa route vers Verdun, Mas Grenier, puis la chapelle des Gabachous à Bourret, fait une halte à Labourgade avant d’arriver à Larrazet. 

Notre Dame de Boulogne à Larrazet (1er et 2 mai 1943). Le passage de la statue de Marie coïncide, à quelques semaines près, avec l’arrivée à Larrazet, le 5 février 1943, du curé Talou dont la mémoire collective garde une image très positive. Il a succédé à l’abbé Dumas, personnage haut en couleur, qui était en charge de la paroisse depuis 1906 soit une plage de 35 ans. Son compte-rendu, retrouvé au presbytère par les employés communaux, en réponse à la commande officielle de Mgr Théas, traduit – comme dans tout le diocèse – la ferveur de la pastorale et la mobilisation de la paroisse : 

«  Dans la soirée de samedi 1° mai, les cloches de Montaïn tintaient joyeusement, tandis qu’en bas, dans la vallée, répondaient leurs soeurs de Labourgade, Notre-Dame de Boulogne ayant visité Bourret et Montaïn, descendait la pente vers Gimone. Au bas de la côte, la paroisse de Labourgade attendait. Un fort contingent de Larrazet était là aussi, sous la direction de Monsieur le curé en chape, entouré des enfants de choeur. Montaïn chante une dernière fois “ l’Au revoir” à la bonne mère : au ciel, au ciel, au ciel… Les jeunes gens de Labourgade s’attelèrent à la remorque de Notre-Dame, et avec grande joie et piété, le long cortège chantant, s’achemina vers l’église. Sur tout le parcours dans le village, ce n’était que fleurs et jonchée. Ce fût vraiment triomphal, pourtant bien improvisé : ce n’est qu’au dernier moment qu’on avait appris l’heureux changement d’itinéraire vers Labourgade. 

Après une halte trop courte…. dans l’église superbement ornée et illuminée, bien petite pour la circonstance, au chant des cantiques, la foule prit la direction de Larrazet. A mi-chemin, avec regret, les jeunes gens de Labourgade cédèrent à leurs camarades de Larrazet, l’honneur de traîner la Sainte remorque. 

A Larrazet, nouveau triomphe. Dès l’abord du village, par la voix grave et solennelle de la Madeleine unie à celle de ses compagnes, l’antique clocher chante avec la foule… “ L’audate Mariam”. La Reine du ciel fait enfin son entrée dans l’église. Tout n’est que fleurs et lumières. La blanche Madone prend sa place dans le magnifique sanctuaire. Un éclairage habilement disposé la rend plus belle encore. Vraiment, on dirait une apparition. C’est bien la reine du ciel et de la terre qui est là sur son trône. “Ave Maria Stella”…. et on se retire. Pas tous, car jusqu’à son départ dans l’après-midi du lendemain, de nuit comme de jour et sans interruption, des âmes pieuses montèrent la garde, égrenant des chapelets. 

La grande veillée commença vers 10 h et se termina par une fervente messe de minuit. L’assistance était considérable, il y avait du monde jusque dehors. L’éloquent prédicateur remua profondément les âmes. Pourquoi n’était-il pas accompagné d’un second pour le confessionnal….les communions nombreuses l’auraient été bien davantage. La messe terminée, on renouvela la Consécration au cœur immaculé de Marie. La veillée prenait fin mais à la demande du public les portes de l’église durent rester ouvertes toute la nuit. Et toute la nuit, Marie fut priée. Le dimanche, grande assistance aux messes et toujours grand empressement autour de la barque…..mais hélas ; il faut partir. A trois heures, Ave Maria Stella, Magnificat et à travers les rues du village, Marie toujours escortée par une foule enthousiaste, prend la route de Beaumont. Pendant 5 kilomètres, la foule chante et prie… nos jeunes gens sont admirables de dévouement. Sur le passage, des groupes à genoux, de Belbèze, Vigueron. Une procession de Sérignac nous attendait. Quel cortège magnifique alors ! Mais une avant-garde de Beaumont se présente bientôt et il faut céder la remorque. Un dernier regard, un dernier sourire à la blanche Madone. Quelques yeux se mouillent. Avec mélancolie nous reprenons le chemin du retour, en chantant : au ciel, au ciel, j’irai la voir un jour ! Marie nous a quittés… Non ! Son cœur est resté parmi nous ! »

Dans une lettre du 5 mai 1943, l’abbé Talou nuance un peu son enthousiasme initial en précisant « Voici mes impressions à moi . Le passage de Notre Dame aurait dû être préparé un peu. Un petit opuscule de N Dame de Boulogne, avec quelques pages d’indications pour la bien recevoir devrait précéder son passage de trois ou 4 quatre semaines ». Il ajoute « qu’avec trois semaines de petite préparation, le passage de ND, aurait valu une petite mission pour Larrazet ». 

Remarque factuelle mais très éclairante et avisée de sa part. Eclairante car l’abbé Talou perçoit clairement que l’initiative a été précipitée et qu’elle est encore expérimentale. A peine un mois après la décision de l’épiscopat français le 29 mars, Notre Dame est déjà à Larrazet. Notre commune est donc non seulement au tout début de son périple dans tout le pays mais aussi dans le département. Avisée car on peut supposer que malgré la vivacité du culte marial (1) à Larrazet, paroisse fervente, on connaît mal ND de Boulogne et cette mission court le risque de tomber comme un cheveu sur la soupe voire d’être considérée comme une superstition d’un autre âge. Il ajoute « à Larrazet, un second missionnaire au confessionnal, eut été fort utile » ce qui souligne en creux l’affluence et surtout l’élan inhabituel de communions. 

Pour le reste, le témoignage du 1.10.2020 de Raymond Gros (le dernier larrazettois qui avait un souvenir très précis de l’événement) corrobore en tous points celui de l’abbé Talou « On est allé cherché la Vierge à Labourgade. Il y avait beaucoup de monde. On mettait des pièces dans la barque. Elle est restée une nuit à l’église. Il y avait de la ferveur et du monde pour la garder. Le lendemain on l’a accompagnée vers Beaumont jusqu’à Labedan où des jeunes de Beaumont sont venus nous relayer ». On le voit, à Larrazet comme ailleurs, ce sont les jeunes gens qui tirent la remorque sur laquelle reposait la barque. Partout les jeunes filles sont aussi mobilisées mais plus pour la décoration. On aimerait savoir si certains participants – comme on le relève ici et là – marchaient pieds nus ce qui attesterait de la nature de croisade, de piété populaire et de repentance. Derrière la pastorale, l’Occupation et la guerre 

Dans les compte-rendus officiels, à Larrazet comme ailleurs, le joug de l’Occupation et le poids de la guerre sont éludés pour ne pas dire occultés. Mais c’est la même chose dans les délibérations municipales ou dans les registres de la coopérative agricole de la période où le mot de guerre est quasiment absent. Et pourtant il est évident qu’elle est dans tous les esprits et dans toutes les préoccupations. Sous l’apparente couverture de l’Eglise, le feu couve sous la cendre et le « Grand Retour » est à l’épicentre d’une bascule de la guerre, de l’opinion et de l’Église elle-même. La défaite de 1940 et l’Occupation (la repentance en plus) ont réactivé la foi et la religiosité. Georges Berrie de Finhan (aujourd’hui âgé de 95 ans) le dit si bien « pendant la guerre, on s’était rapproché de Dieu, de la prière ». 

On ne peut certes ignorer le positionnement de l’Eglise de France qui contient dans la célèbre formule de novembre 1940 du cardinal Gerlier (Archevêque de Lyon) « car Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ». Mais l’Eglise, à l’image de la société toute entière, n’est pas d’un seul bloc et plus encore tout est en mouvement au fur et à mesure de l’évolution du conflit mondial. 1943 n’est pas 1940, les temps changent et des infléchissements puis des bascules s’opèrent. Notre préoccupation est de tenter de toucher du doigt ce qui se joue. A partir de 1942, une partie de l’église commence à prendre ses distances avec Vichy. 

L’église est à la croisée des chemins et on peut émettre l’hypothèse que l’initiative du « Grand Retour » est le produit même des malheurs de la guerre, elle lui est comme consubstantielle. Il y a 80 ans l’Eglise a encore un maillage et une influence incomparables. Elle est profondément immergée dans la société, entend finement les souffrances, les impatiences, les inquiétudes. Dans la nuit de L’Occupation, elle est de fait un cocon protecteur et un espace de liberté sous couvert d’affinités ou d’allégeance à Vichy. Le «Grand Retour » va être l’une des expressions – certes masquée et inattendue – d’une quête de dignité et d’un vent de liberté – qui affleurent. Derrière le « Grand Retour » de la Vierge à Boulogne, l’Episcopat ne cache pas son intention première: celle du « Grand Retour de la foi » mais aussi « le Grand Retour des pêcheurs ». Mgr Théas en est le concepteur déterminé et assurément inspiré. 

Mais de fil en aiguille, la communauté des fidèles – dont l’Evêque lui-même et ses proches – vont pousser l’avantage beaucoup plus loin. C’est ainsi qu’à la faveur des processions et des cérémonies, il est fréquent que la foule dépose dans la barque un billet récusant le STO, demandant le retour des prisonniers ou encore de la paix. 

Sylvaine Guinle-Lorinet note qu’en mai 1943, lors de l’arrivée de N Dame, place du Rond à Montauban, Mgr Théas s’exclame « c’est la famille qui souffre de la déportation de centaines de milliers de jeunes travailleurs » et porte ainsi une condamnation explicite du STO. Pascal Caila relève qu’à Caussade, le 17 Juin, le père Lapouille, juché sur la barque aux côtés de N Dame, parle « de jeunes Français que l’on risque de ne plus revoir ». Dès le 19 juin il est expulsé du Tarn-et-Garonne par les autorités de Vichy. 

C’est dire que le « Grand Retour » est comme une éponge qui capte – certes dans une ambivalence extrême – l’exaspération sourde des Français et accompagne le désir du « retour des beaux jours » en 1943. Dans l’œil du cyclone du temps qui emporte et dévore tout, il est à penser que L’Église est soucieuse de garder la main. Alors que tout va basculer, n’entend-t-elle pas se substituer à l’illusoire et mensonger bouclier que prétendait être Pétain et qui a fait long feu ? Investir les rues et l’espace public – en temps d’oppression – contient une symbolique qui ne doit pas échapper à nos yeux d’aujourd’hui. 

En même temps, cette expression forte de foi conquérante révèle les lignes de faille qui ont marqué toute la 3° République autour de la laïcité comme en témoigne le Bulletin catholique du 10 juin 1943 qui retrace l’arrivée de N Dame à Montauban : « jamais on ne vit un tel empressement à pavoiser et à décorer les rues de la ville. Et un tel élan de foi, en plein vingtième siècle, après la vague de matérialisme qui a déferlé sur la France après plus de 50 ans de laïcisme intégral et d’école sans dieu, et d’un régime qui prétendait arriver à atteindre les étoiles du ciel ». Yann Celton élargit le champ de vision et souligne que cet événement « est sans doute un des derniers avatar d’une religion populaire collective mi procession mi croisade, où se mêlent une ancienne pastorale de la peur et l’espoir du renouveau ». 

Le rôle et la place dans l’histoire de Mgr Théas : le supposé paradoxe Pierre Marie Théas en est-il vraiment un ? Il n’est pas douteux que Mgr Théas, de par sa fonction et la période tragique que la France traverse, fasse partie de ces hommes qui ont une immense responsabilité sur les épaules et dont la conscience est interrogée au plus profond de lui-même. L’histoire montre qu’il ne s’est pas dérobé et qu’il a fait honneur à ses valeurs ce qui lui vaut d’occuper aujourd’hui, à juste titre, une place méritée dans la mémoire collective. En attestent des engagements parfaitement restitués par le travail des historiens. Que ce soit, bien sûr, l’admirable lettre pastorale du 26 août 1942 contre les persécutions antisémites alors que la hiérarchie de l’Eglise catholique est restée bien silencieuse. Mais aussi, c’est moins connu, ses prises de parole contre le STO, véritable cauchemar de la jeunesse et des familles à partir de 1943 . Son courage face aux exactions des troupes d’Occupation à Montpezat-de-Quercy à la veille de la Libération est exemplaire. Il écrit sans détours au major allemand de Montauban le 6 mai 1944 « L’Occupation d’un pays ne supprime ni les devoirs du vainqueur ni les droits du vaincu ». 

Pour autant, on peut se demander si son engagement et sa parole ont été et sont toujours compris exactement comme ils doivent l’être et comme sans doute, il aurait probablement aimé l’être. L’histoire d’une période si convulsive, tragique et clivante est nécessairement propice à des raccourcis, des affrontements et des occultés tant les stigmates, les enjeux de mémoire et les passions sont grandes. Et le parcours de Pierre-Marie Théas – dont il est aisé de pointer quelques grands écarts – est un véritable cas d’école pour la mémoire et l’écriture de l’histoire. Or pour le comprendre et, à vrai dire pour le respecter, on ne peut et on ne doit pas mettre en lumière que ce qui arrange et occulter ce qui dérange, encore moins le découper en tranches. Pour schématiser, les uns posent un voile sur son penchant initial pour la Révolution Nationale et ce qui est un prétexte pour les autres de relativiser son engagement résistant. C’est pourquoi la seule réponse est de chercher à le saisir dans l’unité et la durée de sa vie, dans ses convictions, sa personnalité complexe, ses combats et de sa vision du monde. 

Et c’est le cas du remarquable livre – trop méconnu en Tarn et Garonne et qui mériterait une réédition – de Sylvaine Guinle-Lorinet « Un évêque à la rencontre du XX° siècle» qui éclaire dans son amplitude et son exactitude un parcours plein. Les recherches très avisées de Pascal Caila venant idéalement compléter le champ de vision et les faits. Les témoins peuvent passer à côté de certains angles morts ou alimenter des contre-sens car les représentations ont la peau dure. Le réel ne se laisse pas facilement apprivoiser et les cristallisations à chaud sont souvent bousculées par le temps et les questions que l’histoire pose. 

C’est ce que l’on peut entrevoir de manière ténue à Larrazet. Quand Mgr Théas effectue une visite pastorale dans notre commune le 16 août 1942, il est perçu et accueilli par Adolphe Magnau (notre maire), comme un « évêque maréchaliste» qui contribue « au relèvement et au redressement moral de la patrie afin d’aider dans son immense tâche, notre chef vénéré, le Maréchal, qui souhaite de tout son cœur de soldat qu’une France libre et forte rayonne de nouveau dans le monde »

Sans le que sa perception corresponde bien, en août 1942, à l’image qu’en avaient les habitants du département compte tenu de ses diverses prises de positions officielles. Or, personne à Larrazet, n’imagine une seconde que l’Evêque met la dernière main à sa lettre pastorale datée du 26 août pour élever une protestation indignée contre les persécutions antisémites du Gouvernement de Vichy « qui heurtent la conscience ». Il est authentiquement sur le fil du rasoir. A l’inverse, quand il revient à Larrazet à la Libération, il est accueilli au monument aux morts par Achille Gardes – maire intérimaire et cheville ouvrière de la Résistance locale – comme « l’Evêque résistant » qu’il est devenu et qu’il a payé au prix fort de son arrestation par la Gestapo en Juin 1944. Et sa venue provoque ce jour là, le 21 mai 1945, la fureur des rares nostalgiques locaux de « L’Europe allemande » qui finit de voler en éclats. 

Ce que l’on peut conjecturer est qu’il est pourtant le même Pierre-Marie Théas en accord avec sa foi, sa conscience, ses valeurs, ce qui lui donne une force incomparable au milieu de la tourmente. Il est le contraire d’une girouette et son courage, lui qui ne « veut pas être un chien muet », a fait le reste. Et chacun sait que l’écheveau était pourtant inextricable et quasiment insoluble. L’Église de France a été largement et durablement acquise à « la Révolution nationale». Sylvaine Guinle-Lorinet et Pascal Caila ont parfaitement motivé et daté la prise de distance de Mgr Théas avec Vichy qui va de pair – ne l’oublions pas – avec le retournement progressif de l’opinion à partir de 1943. Il n’y a pas, à mes yeux, à suspecter chez lui une quelconque ambivalence, encore moins un supposé opportunisme (qu’il est si facile d’alimenter loin de l’œil du cyclone). « 40 millions de pétainistes en 1940, 40 millions de gaullistes en 1945 », formule à l’emporte pièce et sans fondement qui brouille les cartes sous l’effet conjugué de la culpabilité et des raccourcis simplistes. 

Seul un travail sérieux d’écriture de l’histoire (2), dans la pluralité et l’éthique, permet d’évacuer les démons et de dépasser les non-dits qui minent les consciences et entretiennent les ambiguïtés. Quand à la repentance – à ne pas confondre avec la religiosité – qui est à la fois au cœur du « Grand Retour » et de l’idéologie de Vichy, elle pose des questions bien au-dessus des facultés de cette simple contribution. Entre le « on a voulu épargner l’effort, on rencontre aujourd’hui le malheur » du Maréchal Pétain et le « Reconnaissons que cette tempête est arrivée à cause de nos péchés. C’est donc avec justice que Dieu nous frappe, mais il nous frappe pour nous sauver » de Mgr Théas, il n’y a pas l’épaisseur du trait. Reste que pour l’histoire et ceux qui étaient en grand danger et en souffrance, seuls les actes parlent. La repentance de Pétain a été purement répressive, celle de Théas, qui se voulait rédemptrice, a été libératrice. Comment demander plus à un homme qui a du être tiraillé par un certain conflit de loyauté avec lui-même et sa fonction d’Evêque. C’est son immense mérite, et la marque des grands hommes, d’en être sorti par le haut. 

Quant au « Grand Retour», on voit bien que ce n’est pas un épisode désuet ou marginal et l’on peut souhaiter que les chercheurs s’en emparent dans son amplitude et sa complexité pour aller beaucoup plus loin que les quelques petites balises de cette chronique. 

Alain DAZIRON 

Mars 2023 

Note 1: voir chronique sur « la clôture du mois de Marie à Larrazet » ( Trait d’Union n° 147, Avril 2014) 

Note 2 : Un grand merci à Mme Pujade ( responsable des archives de l’Evêché de Montauban ) et à Mme Sylvaine Guinle-Lorinet ( Historienne de Mgr Théas ) pour leur amicale et précieuse coopération.

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