JACME GAUDAS "Porteur de mots"

journaliste écrivain "Porteur de mots"

ANTONIN PERBOSC

Dich on the Radio FMC : una arquiva, un texte majeur paru dans les Nouvelles littéraires du 24 janvier 1925, écrit par Camille Soula (1).   

« Ecrite en langue d’oc et dans une langue d’oc si pure, si « savante » comme longtemps on l’a dit par dérision, l’œuvre d’Antonin Perbosc n’a pu toucher que le milieu félibréen, dans lequel (bien que Perbosc   y jouisse d’une autorité déjà très ancienne), les effets de l’admiration sont toujours limités par la médiocrité et l’envie le plus souvent réunies. Les  Nouvelles  Littéraires ont signalé le 25° anniversaire de  l’admirable  poème de  Miquèl Camélat : Béline. Aucun organe félibréen se serait bien gardé de le faire. Pourquoi signaler la valeur ? (2). C’est la mauvaise province qui tue la bonne.

Pourquoi aurait-on tressé des couronnes à Perbosc ? Il n’en demandait point. Mais lorsqu’un homme peut porter l’insouciance au degré où l’a poussée Perbosc relativement à l’avenir de son  œuvre, travailler, pour  le plaisir de travailler, au point d’accumuler les manuscrits sans se distraire une minute du plaisir d’écrire pour rechercher celui d’être publié, il arrive fatalement que la gloire se décide à venir chercher le poète qui n’a vraiment vécu que pour la poésie.

Il  est  difficile de gagner des admirateurs à Perbosc parce qu’il est  malaisé de leur fournir des livres de lui. Ils ont été tirés à un très faible nombre d’exemplaires. Mais il s’en est très peu perdu. Il y a, par exemple 300 exemplaires du Got occitan. C’est un livre qui se prête le moins que je connaisse. Chacun des propriétaires garde jalousement le sien. Lorsqu’on a appris à aimer Perbosc, c’est une joie que l’on conserve pour le reste de la vie. Et l’on rentre dans la phalange des impatients qui attendent que ses poèmes anciens soient réédités, que les nouveaux paraissent. Actuellement âgé d’un peu plus de cinquante  ans, Antonin  Perbosc vit à Montauban  et préside aux destinées de la bibliothèque de cette ville. 

Avec une parfaite régularité, il arrive à son bureau et, après avoir travaillé à son catalogue, il lit, il rêve, il écrit. Venez l’y voir, il vous  accueille et la conversation s’engage sans terme, à la condition toute fois que vous restiez sur le terrain de la littérature car à d’autres sujets, Perbosc donne l’impression de n’avoir accordé jamais même  une seule minute d’attention. Mais si la Littérature vous intéresse et que  vous y apportiez quelque clarté de jugement, vous êtes sûr de  prolonger l’entretien. Vous  pouvez attaquer Perbosc, d’ailleurs, sur n’importe quel point de curiosité littéraire, il n’en est point où sa propre curiosité ne vous ait précédé, ni de sujet sur lequel il ne vous  donnera des indications ou des aperçus nouveaux. Ce grand poète est  un grand lecteur. C’est à propos de Mallarmé que j’ai connu Perbosc, et c’est le seul écrivain chez qui j’ai rencontré l’opinion arrêtée et si  justifiée que le plus beau poème de Mallarmé est Un coup de dés

C’est le souvenir d’une volupté rare pour ceux qui l’ont connu que celui d’une conversation avec Perbosc à son bureau de la bibliothèque  de  Montauban, un cerisier vient, au printemps, montrer ses fleurs à la fenêtre, et le maître parle comme le cerisier fleurit. Le propos se fixe  sur un mot. On s’arrête. Perbosc vous fait part de ses scrupules de linguiste. Quelle orthographe doit-on adopter ? Il cite ses textes  anciens, examine les formes vivantes. Parfois, celles-ci sont rares,  mais Perbosc les  connaît  toutes, les plus cachées, perdues dans de  lointaines vallées. Il rapproche les diverses formes, se reporte à l’étymologie, ne néglige pas les arguments esthétiques les plus  modernes et toujours vous propose une forme orthographique dont la beauté s’impose. En un temps où les épidémies de simplification orthographique désolent les esprits qui ont conservé le sens de la   parole écrite, le spectacle d’un tel artiste du verbe est un enchantement.

La grandeur de l’œuvre de Perbosc à ce point de vue ne peut pas  encore être appréciée. L’avenir de la langue d’oc seul l’établira. Les  diverses graphies phonétiques avaient, en effet, l’inconvénient d’inférioriser la langue d’oc au point de compromettre sa vitalité. La loi du moindre effort élevée à la hauteur d’un principe de grammaire, conduisait notre langue à une décadence officielle. Mais la lettre, qui  passionne le poètene l’absorbe point. On dirait même que Perbosc ne vous arrête ainsi sur un mot que pour en bien marquer l’importance. La facture du vers ne l’intéresse pas moins. Si vous avez su le séduire, il sort bientôt quelque poème de son tiroir ou de son sous-main; une pièce en cours d’exécution et de nouveau il vous fait part de ses scrupules ; et toujours, après un débat de conscience esthétique vous fait toucher du doigt les raisons mêmes de la beauté. 

Un ami absolument étranger aux questions d’oc et que j’amenais, un  jour, voir Perbosc ainsi à Montauban, me disait sa grande joie du seul  spectacle d’un hommene vivant vraiment que pour la poésie : c’est  bien, en  effet, la joie que procure Perbosc par sa compagnie : celle d’  un homme étranger aux luttes et aux préoccupations de son temps, vivant isolé dans une citadelle des lettres, élaborant, derrière le  rempart de tous les livres écrits, une œuvre formidable, dans une  langue ressuscitée, redevenue par son effort une langue digne de ce nom. L’œuvre de Perbosc est considérable, bien que la majeure partie en soit inédite et presque inconnue. 

Lo Got occitan est un important recueil de pièces lyriques à la gloire de la vigne et du vin. Lo Libre del Campestre est un volume de  poèmes géorgiques dont quelques fragments seuls ont paru, comme les douze sonnets admirables de l’ « Arada ».Guilhen de Toloza ». Huon de Bordeaux sont des poèmes épiques dont le premier, purement imaginaire, est un chant de race prodigieux. De longs poèmes publiés  isolément  comme Solelheta RemembransaLas cansons  del pòplela Pastorela,contes, élégies, harangues, légendes, suffisent à montrer la prodigalité vraiment inouïe du tempérament du poète. 

Lo libre dels Auzèls est un recueil de légendes en vers sur les oiseaux. Quelques unes de ces pièces sont composées sur une donnée  folklorique ; d’autres sont purement lyriques ou simplement fantaisistes. Le peuple des oiseaux y montre la physionomie qui lui est propre dans ses rapports avec le paysan. Le chant de chaque oiseau s’exprime en langue d’oc, et la donnée romanesque s’arrange autour de son cri pour constituer une intrigue édifiante ou comique, émouvante, toujours infiniment poétique. Il m’est particulièrement agréable de le dire  dans ce journal où, il y a quelques jours, justice était rendue à la Béline, de Camélat, parce qu’il est bon que l’on sache à Paris qu’il y a, en Provence, des richesses ignorées. C’est Paris qui a rassuré la Provence sur le compte de Mistral. Les poètes du terroir qui ne sont que des poètes du terroir sont de peu de prix. Ce sont les poux du régionalisme, dont je parlais en débutant. Plus que tout artiste, un  poète est lié à son origine, puisque tous les poètes sont intraduisibles. Tous les grands poètes, pourtant, sont universels et c’est un  grand  mystère de l’art qui s’incarne aujourd’hui dans Antonin Perbòsc. »

Camille Soula

(1) Fonde avec Ismël Girard, Déodad de Séverac et Antonin Perbosc la Ligue de la Patrie méridionale, Fédération des  pays d’Òc à laquelle participent Joseph d’Arbaud, Jean Bonnefous, Josep Fontbernat, Philadelphe de Gerde, Jeanne Marvig, Frédéric Mistral, Bernard de Montaut-Manse, Simin Palay,, Paul Rolland, Emiles Sicard… Fonde également l’Institut d’Estudis Occitans en 1945 avec Ismaël Girard, René Nelli, Max Rouquette, Jean Cassou, Robert Lafont, Félix Castan et Tristan Tzara.

(2) La chorale Déodat de Séverac a adressé à cette occasion un hommage à Caméla

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